En cette année 1956, les événements se bousculent et l'histoire s'accélère. La quatrième République vit ses dernières années, la guerre d'Algérie échauffe les esprits, le président Nasser nationalise le canal de Suez et les chars Soviétiques pénètrent dans Budapest.
Cette actualité morose n'empêche pas les Français de se divertir en plongeant dans "Le Monde du Silence" que présente le Commandant Cousteau ou en applaudissant Jacques Anquetil qui bat le record de l'heure. Sur les écrans, Brigitte Bardot joue son propre rôle dans "Et Dieu créa la femme" et Marilyn Monroe fait chavirer les coeurs lors de la projection de "Sept ans de réflexion". Pendant que Grace Kelly devient princesse de Monaco, Elvis Presley déchaîne les passions en Amérique tandis que Jaguar gagne à Francorchamps. A l'heure où le Franc n'est pas encore ancien, une 4CV Renault coûte 424 000 Francs et une Frégate presque le double. Il y a donc une place à prendre entre les deux, c'est ce que va faire la Dauphine, dernière née de la Régie.
4 février 1956 : Robert Sicot, responsable du service des relations extérieures prépare en secret la campagne d'essais destinée aux journalistes de la presse française et étrangère. Six Dauphine attendent dans un garage d'Ajaccio. Elles sont arrivées la veille depuis le port de Marseille dans six grosses caisses à bord du Cyrnos.
La veille, la neige est tombée sur la Corse. Après un déjeuner convivial de spécialités locales, les journalistes de toute l'Europe prennent possessions des véhicules (les 2275 WO, 2277 WO, 2278 WO, 2279 WO, 2381 WO et la 9232 EB 75 font partie du lot). Chacun est libre de son itinéraire mais doit respecter un contrat : ne rien publier avant la date du 1er mars. Chacun se lance à son volant sur les petites routes corses à travers les cols enneigés.
La Régie profite des paysages corses pour effectuer quelques clichés officiels, reproduits plus tard sur cartes postales et distribuées aux concessionnaires pour la présentation de la Dauphine.
Plus de vingt mille personnes découvrent la Dauphine le 6 mars 1956 à 18h30 sur le damier blanc et noir du palais de Chaillot. Six voitures sont présentées dont des écorchés préparés par les apprentis des écoles Renault. La Régie Renault est très fière de son dernier modèle appelé à devenir le cheval de bataille de la marque. Le catalogue précise que "la coque a été conçue comme un mobile cohérent, satisfaisant pour l'esprit comme pour l'oeil, dont la perfection aérodynamique la rend pratiquement insensible au vent latéral". On notera l'excès d'optimisme dont faisait alors preuve la "réclame".
Simultanément, la présentation de la nouvelle star de Renault est effectuée chez tous les concessionnaires de France et de l'étranger. Deux jours plus tard, elle est officiellement présentée au salon de Genève. Vendue 554 000 Francs, la Dauphine peut être équipée en option d'un toit ouvrant (20 000 F) et d'un embrayage Ferlec (30 000 F).
La Régie lance un petit fascicule racontant la naissance de cette voiture.
Les premières livraisons ont lieu au printemps 1956. Dès sa commercialisation, la Dauphine connaît un immense succès et en 1957, elle représente les deux tiers des 270 000 voitures construites par Renault. Le 22 février 1960 la millionième Dauphine sort de l'usine de Flins. Pour développer son image sportive, Renault fait appel au "Sorcier" et présente, dès 1957, la Dauphine Gordini qui connaît elle aussi un franc succès malgré sa vocation sportive toute relative. Il faudra attendre 1962 pour voir apparaître la célèbre 1093 qui ne porte pas le nom magique mais qui sera en revanche une véritable voiture de sport avec ses 55 ch. A son volant, s'illustreront de futurs champions comme Jean-François Piot ou Henri Pescarolo. Elle gagnera un nombre incalculable de victoires. Produites sous différentes appellations (Ondine, Gordini, Export) la Dauphine disparaîtra du catalogue en décembre 1967.
Elle restera la première auto française à avoir franchi la barre des deux millions d'exemplaires construits. Sa production se poursuivra notamment en Argentine qui aura le privilège de voir naître un millésime 1969. Une page se tourne, la R8 est déjà sur les routes, mais cela est une autre histoire...